Paris côté jardin : quand les plantes parlent de la Petite Ceinture

Balade sur la sauvageonne de Paris au fil
de la nature et au gré des ambiances

Imaginez un peu ! Un lieu merveilleux où vous pouvez vivre en paix, vous lover au soleil, lancer vos racines où ça vous chante, échapper aux jardiniers trop pointilleux, retrouver vos amis, en découvrir de nouveaux — venus du monde entier —, tout ça à Paris et presque à la campagne. Ce refuge : la Petite Ceinture. Nous, les plantes, nous l’avons découvert et adopté bien avant qu’on le laisse à notre disposition. Cette merveilleuse lisière urbaine, cette frange campagnarde, quelle aubaine ! L’air de rien elle associe des milieux naturels très variés : des rocailles calcaires aux poches de terre qu’elles cachent, des fossés humides aux talus herbeux, des bas côtés frais et ombragés aux pelouses sèches qui les bordent. Ces effets de lisière multiplient la richesse écologique et on en redemande ! Nous sommes venues de partout, de la ville, des forêts, des jardins, des champs, des balcons, des potagers et des parcs publics. Emportées par le vent, les fourmis, les oiseaux ; transportées dans la fourrure des animaux, accrochées aux basques de l’homme ou à ses wagons, jetées au cours d’une promenade comme ces pépins ou ce noyau. Les plus courageuses ont remonté peu à peu les rails caillouteux et les tranchées ferrées menant aux terres du nord, rejoignant Paris, envahissant joyeusement de leurs fleurs et de leurs parfums cette voie redevenue sauvage. Et puisque ce bonheur de nature c’est un peu grâce à nous, les plantes, que vous le découvrez, nous avons décidé de vous conter une étincelle de notre histoire. Beaucoup voulaient prendre la parole, la place était limitée. Nous avons fait le choix subjectif de la laisser aux plus visibles, aux plus connues, aux plus reconnaissables, parfois aux plus surprenantes, dans l’espoir que cette goutte tombée sur la voie vous ouvre le regard, accroche votre intérêt sur le foisonnement végétal de la sauvageonne de Paris.

Salut, je suis le Robinier… Le maître des lieux !
Bon d’accord, vous me connaissez plutôt sous le nom d’acacia. Mais quelle idée ! Pourquoi me comparer à ce cousin éloigné qui se complaît dans les régions arides ?
Ok, j’ai comme lui des feuilles composées de foliotes, des épines et des gousses… Mais bon sang, je suis bien différent des vrais acacias, les mimosas, dont on me donne le nom ! C’est Jean Robin qui m’a laissé le sien, il doit se retourner dans sa tombe. Jardinier de 3 rois de France, il a fait venir mes graines des forêts lointaines où je vivais alors. Je suis le premier arbre américain jamais introduit en Europe et, depuis, je m’y suis totalement acclimaté au point d’envahir les voies ferrées. Bon d’accord, l’homme m’a un peu aidé et tout particulièrement les cheminots en m’offrant leurs talus. Il faut dire que j’ai de nombreux atouts : mes fortes racines retiennent facilement la terre, je n’ai pas peur des terrains pauvres que j’enrichis naturellement en fabriquant mon engrais, je supporte le froid et la pollution. Franchement, que demander de mieux ? Désormais j’inonde les rails de mes superbes grappes de fleurs blanches bourrées du nectar que les abeilles adorent. Vous connaissez mon miel ambré ? Les délicieux beignets que vous offrent mes fleurs ? Bien sûr pour vous c’est du miel et des beignets de fleurs d’acacia… pfff ! Donnez-vous du mal, je vous jure !
Enfin qu’importe, je suis un sage et peux vivre des siècles. Savez-vous que je suis le plus vieil arbre de Paris ? Vespasien, le fils de Jean, m’a planté il y a plus de 350 ans près de St Julien le Pauvre et au Jardin des Plantes où je fleuris encore ! Elle est bien bonne celle là : l’ancêtre des arbres parisiens c’est moi, un immigré ! Et je passe mon temps à regarder passer les trains !

Écoutez-moi ça, le maître des lieux ! Et moi, le buddleia on m’oublie ?

Budhleia

Ah ces Américains, ils ne manquent pas d’air ! Je n’ai eu besoin de personne pour me retrouver sur la voie, moi, môssieur ! Et pourtant ma patrie est encore plus lointaine que la vôtre. Je suis Tibétain, moi, môssieur ! J’inonde de mes magnifiques grappes mauves les rives rocailleuses de l’Himalaya. Quant au nectar et au parfum, « maître robinier », vous faites pâle figure… J’attire tant les abeilles et les papillons qu’on me nomme l’arbuste aux papillons, c’est vous dire ! Venez, approchez-vous, sentez mes fleurs, elles embaument l’air d’un suave parfum de miel. Je fleuris tout l’été moi ! — c’est pas comme certains — et tant et tant, qu’un de mes noms est : lilas d’été. C’est un jésuite, le père David qui, fasciné par mes masses de fleurs parfumées, a envoyé quelques-unes de mes graines à Paris en 1890 où je fleurissais 4 ans plus tard. C’était une grande première européenne ! Considérée comme une plante rare, exotique et précieuse, les quelques personnes ayant pu obtenir une de mes plantules me choyaient, prenant un soin extrême à me protéger en m’enfermant dans leurs jardins. Mais que voulez-vous j’adore la liberté. J’ai tout fait pour m’enfuir ! C’est la bêtise des hommes, la guerre, qui m’a libéré : j’ai profité des ruines pour retrouver mon milieu de pierriers et ma liberté. Je pousse maintenant partout dans la ville. Aucun mur, aucun espace ne m’échappe, j’envahis tout et en particulier la petite Ceinture que je couvre de fleurs et enivre de mes parfums. Ah j’en ai fait du chemin en 100 ans ! Le soleil qui joue sur les rails me rappelle les reflets des rivières chinoises que je côtoyais ; elles me manquent un peu, mais je suis un voyageur et il me reste tellement d’espace à découvrir ! On en reparle dans un siècle ?

Hé ! Peuchère ! c’est du midi que je viens moi, le baguenaudier

baguenaudier

Et mon joli nom est un très ancien mot de la langue d’oc. De mon pays quoi ! Bon c’est vrai, je l’avoue je suis en fait originaire d’Asie et de l’Europe du Sud. Mais bon, voilà des siècles que je suis remonté pour m’installer dans le midi, sur les coteaux calcaires baignés de soleil. C’est bien ce que je recherche avant tout le soleil ! Alors vous pensez bien que je ne me plais pas vraiment dans le centre de la France. D’ailleurs on ne m’y trouve pas très souvent à l’état sauvage. Cela dit j’adore voyager et quand j’ai vu débarquer chez nous ces routes comme faites pour moi, ces voies ferrées couvertes de ballast chauffé par le soleil, j’ai pris mon baluchon pour grimper vers le nord. Voilà pourquoi vous pouvez aujourd’hui me trouver à Paris, me réchauffant sur les cailloutis de la Petite Ceinture. Comme mon grand cousin d’Amérique, le robinier, mes racines retiennent les talus et améliorent le sol. Du coup c’est moi, le buisson à fleurs jaune d’or, que les Anglais plantent le long des voies ferrées. Mais ici à Paris, je le jure, je suis venu tout seul ! Et puis les enfants m’adorent, ils s’amusent souvent avec mes gousses gonflées qui protègent mes graines, les faisant éclater entre leurs doigts. Du coup on m’appelle la cloquette, panpan ou même glouglou. Pour certains je suis l’arbuste aux vessies ; j’avoue que ça m’attriste un peu. Et puisque dans les campagnes on m’a donné tant de noms, j’en ai à mon tour inventé un pour ces enfants qui s’amusent avec moi, se baladant le nez au vent et l’esprit libre : baguenauder. Il est beau ce verbe, plein du soleil et du voyage que j’ai accompli pour vous l’apporter.

Quand à moi, le bouillon blanc, vous ne pouvez pas me manquer

bouillon blanc

Je suis sans doute la plus grande plante fleurie de la Petite Ceinture. Mon grand épi, cette hampe rendue blanche par la masse de poils qui la couvre et sur laquelle viennent éclater de grosses fleurs jaune vif, dépasse toutes les autres plantes de la sauvageonne. Vous pensez, elle peut atteindre 2 mètres ! Ces poils qui forment toison et recouvrent mes larges feuilles limitent l’évaporation. Je pousse toujours en plein soleil et je préfère les milieux secs, alors pas de gâchis, l’eau y est rare. D’ailleurs quand il pleut, la forme de mon épi, mes feuilles peu étalées et mes poils dirigent directement la manne liquide vers mes racines. Sur la Petite Ceinture, je lance mes longues tiges des prairies sèches et calcaires. Mais c’est un sacré boulot : il me faut 2 ans pour y arriver. La première année je me limite à une rosette de feuilles au ras du sol. On m’appelle alors le chou d’âne. Et, l’air de rien, j’engrange des réserves que je stocke dans ma racine pour la saison suivante. Et là, c’est le feu d’artifice : je me défoule, poussant de toutes mes forces en lançant mon épi vers le ciel. Puis j’ouvre mes fleurs si haut que les insectes surpris font un détour pour les visiter. Je deviens le chandelier de Notre-Dame ou la verge de Saint-Jean avant de me dessécher, épuisé par l’effort. C’est quand même autre chose qu’une salade à baudet ! Associé à de si grands personnages je me devais d’être utile. Mes vertus médicinales sont connues depuis la nuit des temps : je suis efficace pour le nez et les poumons, mes cataplasmes soignent les rhumatismes. Et si un jour, perdu sur une prairie sèche, vous avez besoin d’une mèche, faites comme les anciens, roulez une de mes feuilles, vous serez surpris du résultat.
Dans tout ça, il y a une chose qui me chagrine, c’est l’histoire du chou et du chandelier. Franchement, ce n’est pas vraiment la même chose. Je m’en suis ouvert à Saint-Jean. Et bien pour lui c’est bouillon blanc et blanc bouillon !

Bonjour, nous sommes les 4 frères de la ceinture ferrée, les séneçons

Senecons

On s’était un peu perdu de vue tous les quatre. La voie ferrée a permis nos retrouvailles  le vent a rapproché nos graines, et la diversité des milieux a fait le reste. Il faut dire que nous sommes très prolifiques, produisant des milliers de graines plusieurs fois par ans. Pour leur permettre d’explorer l’espace on les a dotées, comme notre cousin le pissenlit, d’un parachute ascensionnel formé d’une petite aigrette de poils blanchâtres. C’est en comparaison avec une chevelure blanche qu’on nous a donné notre nom, de senex — vieillard —. Quel affront pour des plantes si dynamiques ! Malgré nos propriétés toxiques on nous a même utilisés dès l’antiquité pour donner du tonus aux circulations sanguines déficientes, c’est vous dire ! Salut, je suis le séneçon commun, le plus courant des trois, on m’appelle séneçon des oiseaux ou herbe aux charpentiers. Je préfère les terres riches et les cultures, mais je trouve aussi mon bonheur en pleine ville où je m’installe facilement au bord des voies. Alors quand j’ai appris que 2 de mes frères m’attendaient là sur la sauvageonne de Paris, j’ai gonflé mon aigrette pour les retrouver. Moi le séneçon visqueux — c’est vrai je suis un peu collant —, j’adore les forêts, les clairières sèches et les dunes de la Méditerranée. Mais quand on a ouvert ces voies caillouteuses à plaisir, je n’ai eu qu’une envie : retrouver mes frères du nord. J’ai donc suivi le train. J’apprécie tant le ballast sec et chaud que vous aurez du mal à me trouver dans Paris ailleurs que sur les voies ferrés ou dans les anciennes gares. Je suis ici l’indice d’une présence ferroviaire. Certains m’appellent le séneçon ferroviaire ! Hello ! C’est moi le grand frère, le séneçon jacobée : je peux dépasser 1 mètre pour étaler mes fleurs jaunes dorées, alors mes frangins avec leur taille de nain et leurs fleurettes n’ont qu’à bien se tenir. Je viens des prairies et des pâtures. Toujours fleuri au soleil du 25 juillet, je suis l’herbe de la Saint-Jacques donnant le signal des moissons. J’apprécie autant le sol frais et riche que le soleil. C’est pour les trouver que je pousse plutôt sur les bas côtés de la Petite Ceinture. Et puis je dois bien m’adapter un peu pour rester en famille !
Hééé ! Frérots vous m’oubliez ? Quelle injustice après le grand et long voyage que j’ai fait pour vous retrouver ! Imaginez les stratagèmes et les ruses que j’ai dû employer pour venir de mon Afrique du sud natal. C’est finalement en empruntant des ballots de laine que j’ai débarqué à Mazamet, dans le sud vers 1935… Du coup vos flores m’ignorent, moi le séneçon du cap. Pourtant je me suis installé en Méditerranée. Il m’a fallu des années pour monter sur le ballast et vous retrouver à Paris où je débarque tout juste dans un climat qui me convient moins, mais où je suis de plus en plus présent. J’espérais qu’en famille au moins vous me feriez la fête. Quelle déception ! Vraiment… c’est trop injuste !

Nous, les cousines de la gueule de loup, on nous appelle les linaires
Dites donc les vieux séneçons, merci de ne pas prendre la vedette ! Nous, les quatre sœurs des terrains calcaires, nous varions les couleurs de nos corolles : du jaune citron à l’orange pour l’une au mauve violacé pour l’autre, certaines mêlent ces teintes dans un somptueux contraste. Nous aussi fleurissons longuement. Et nos fleurs, petites, mais si étranges avec leurs éperons allongés et nos deux lèvres gonflées, nous donnent presque un aspect exotique. Seuls les bourdons suffisamment lourds pour ouvrir cette gueule pourront bénéficier de notre nectar, et en quelle profusion ! Comme notre cousine des jardins, nous avons tendance à être parmi les premières plantes à couvrir les terrains dénudés, pierreux, sableux et ensoleillés. Elle vient d’ailleurs assez souvent nous rendre visite au bord des rails.
Moi, la linaire commune, j’ai donné son nom à ma tribu grâce à mes feuilles allongées qui ressemblent à celles du lin. En été j’éclaire la voie de mes longues grappes de fleurs jaunes à la gorge orangée.
Hé ! sœurette laisse moi me présenter ! Je suis la linaire striée mes grappes de fleurs sont bleu strié de violet et leur gorge jaune vif. Je préfère les terres sèches.
Moi la petite linaire j’adore les rocailles et je m’y plaque pour profiter du soleil. Je suis couverte de poils gluants. On me surnomme gueule de lion.
Et moi, et moi ! C’est parce que je suis couchée que vous me délaissez ? Je suis pourtant beaucoup plus présente que vous sur les pierres et les murets de la Petite Ceinture. Je suis la linaire cymbalaire ou ruine de rome et mes feuilles ressemblent plus à de minuscules feuilles de lierre qu’à celles du lin. Je viens de la Méditerranée, de l’Italie. Il y a 5 siècles que j’en suis parti. Vous me trouverez partout sur les murets, car j’ai un truc infaillible pour placer mes graines au bon endroit : après fécondation, le pédoncule qui porte mon fruit s’allonge et se recourbe vers le mur qui me supporte ; quand mes graines tomberont, elles seront directement au bon endroit pour prendre racine. Malin non ?

Une ceinture potagère autour de Paris ?
Dans ce merveilleux jardin sauvage qu’est la Petite Ceinture, les légumes ont bien sûr leur place. Des plantes issues de cultures potagères côtoient leurs ancêtres. Les fruits sauvages mûrissent à côté des espèces du verger qui les ont rejointes. Si ce n’était la douteuse qualité des sols contenant des résidus de pesticides et les polluants urbains présents dans l’air et dans l’eau, on pourrait sans difficulté faire un extraordinaire repas végétal en glanant les trésors potagers de la Petite Ceinture. Prenez donc votre panier d’osier et suivez le guide…
Si nous commencions par une salade composée ? On trouve ici de nombreux ancêtres de nos salades : des laiterons aux laitues sauvages, de la roquette à la mâche.

Grande mauvederpara

Pourquoi ne pas les mêler de quelques pissenlits et de fleurs de mauves, délicieuses et colorées. Si vous préférez les goûts puissants, cueillez ce superbe chou. Quant à l’assaisonnement, vous aurez l’embarras du choix : voyez ses menthes, ce pied de persil, ce bouquet de thym et ce magnifique laurier sauce qui vous tend ses branches. Pour le plat principal, nous nous régalerons d’un ragoût de légumes : voyez ces pommes de terre déjà bien rebondies et ces pieds de tomates empourprés, assez fréquents ici. On y a même découvert un magnifique potiron, quelques asperges, des oignons, de l’ail sauvage, du fenouil. Certains légumes oubliés de nos jardins s’y développent, comme le panais. La carotte sauvage, très filandreuse, mais merveilleusement parfumée y est fréquente. Elle rencontre parfois, égarée sur la sauvageonne, sa sœur améliorée par l’homme. Vous pourrez ajouter du maïs et du salsifis si ça vous chante. Quand au dessert c’est grâce aux oiseaux que nous pouvons le récolter : les noyaux et pépins abandonnés ont parfois donné naissance à de superbes arbres fruitiers. Le plus fréquent est sans conteste le merisier, mais en cherchant mieux vous trouverez des prunes, des pommes, des abricots, des noix, des coings et des nèfles du japon, des figues, de grosses fraises rouge vif et de délicieuses framboises ; sans parler des mûres et des noisettes qui, après tout ça, semblent bien banales. Et si vous en connaissez la fabrication, vous pourrez faire du pain ou des galettes : le blé, le seigle et le sarrasin y poussent parfois. Du vin ou de la bière pour arroser le tout, ça vous dit ? De magnifiques grappes de raisin vous narguent là haut, quant au houblon il suffit de se baisser pour le ramasser ! Si après tout ça vous n’êtes pas repu, je rends mon tablier…
Pardon ? Vous dites ?… Comment ça un petit café ??!

trombine
Bruno Ballet ingénieur agronome, ingénieur écologue.

Passionné depuis des années par la flore, l’histoire et l’architecture de Paris, il en sillonne les ruelles, en explore la nature et les jardins : de la Petite Ceinture au Canal St Martin ; de l’île de la Cité au bois de Vincennes, etc.
Responsable de Paris côté Jardin depuis sa création en 1984.
Cette structure vous propose de découvrir la flore et les natures de Paris, entre histoire, nature, légendes, architecture, urbanisme, art, paysages et jardins.
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