Le billet de Sev du bloc 6

Méditation Belle Belle belle
 
Ciel d’azur balayé de toute scories nuageuses… pavé à la géométrie visible… plates-bandes remises en état… fleurs s’épanouissant dans une tiédeur inattendue… perspective de la Villa comme un espoir fleuri reposant et qui invite aux superlatifs anonymes… “ohhhhh c’est bien beau ce petit coin” lâche une promeneuse qui ne connaissait pas le coin et le découvre à la faveur du confinement en périmètre contrôlé… “Mais, c’est vous qui balayez ?” s’étonne un gamin encapuchonné flanqué de ses potes qui tripotent une clope mal roulée – sans doute, une première pour lui – Je réponds “oui” en souriant… ça me fait plaisir que des mômes puissent être interpellés par l’action de plus anciens qui nettoient, coupent, taillent, balayent, ramassent, arrosent et occasionnellement détaguent les panneaux d’informations que d’autres mômes moins coopératifs ont eu plaisir à agrémenter de ces incompréhensibles signatures qui, affirment-ils parfois, sont leur marque de reconnaissance. 
 
Il en faut de la sueur, en cet période inédite de temps suspendu, et des bras pour entretenir ce bout de rue récemment ouverte à des badauds venus dans le coin aidés d’un plan de ville à l’ancienne. Curieusement, aucun d’entre eux ne se repère à l’aide de leur “map” virtuelle de smartphone ! Il est vrai que le repérage individuel dans un paysage ne souffre pas une représentation limitée à un minuscule écran. L’homme a besoin de regarder autour de lui, fut-il transformé en citadin moderne, c’est bien la mémoire visuelle de l’environnement qui lui permet de revenir sans se tromper. A méditer…
 
Et le visuel, dans notre Villa, il fait son petit effet… pas besoin de s’auto congratuler pour ça, il suffit de sentir en soi ce doux sentiment apaisant que la contemplation d’une série de tulipes multicolores nous procurent pour réaliser à quel point, notre mémoire cellulaire demeure en relation avec des temps anciens où l’homme avait un lien direct avec ce qui le fait vibrer. “Souviens-toi que tu étais poussière et que tu retourneras poussière” rappelle le dicton à l’occasion du Mercredi des Cendres. On peut en sourire, et pourtant… Le béton et l’urbanisation trop rationalisée ne nous rassurent pas, ils ne nous rendent pas heureux et ce n’est pas par esprit frondeur que nous fûmes si nombreux à participer à l’aménagement de la Petite Ceinture, du moins à tenter de mettre notre grain de sel dans ces projets de “végétalisation” urbaine qui occupent l’esprit du temps, et celui opportuniste de nos zélés “zélus”. 
 
Le confinement nous oblige à repenser le quotidien. Après avoir fait trois fois le ménage à fond dans sa carrée plus ou moins grande, après avoir rempoté les plantes d’appartement ou de balcon pour les plus chanceux, après avoir rempli un peu mieux nos placards alimentaires – on ne sait jamais… – et fait l’unique balade autorisée en cette période étrange de danger invisible, l’on se sent attiré par ce qui sort de terre ici et là. Les plates-bandes fleuries (qu’ils nomment “carrés végétalisés”) se multiplient. On nous a donné l’autorisation de retourner à la terre en pleine ville. Certes, il faut y croire pour se contenter, quand on aime ça, d’un carré de 2m sur 2 ! Mais on ne s’en plaindra pas, on a même plaisir à n’y laisser croître que le fouilli plaisant de ce qu’on appelle à tort des “mauvaises herbes” et dont le terme juste est adventices…  ou herbes qui “ne devrait pas pousser là !”. Un comble pour un homo urbanicus qui s’est approprié à peu près tout l’habitat et l’espace pour le bétonner, le bitumer et le contrôler…mais qui rêve de refaire un petit potager à l’arrière de son logement !
 
La Villa est vraiment devenue belle, belle, belle et je suis ravie de savoir que des femmes riveraines, il y a quelques quinze ans, ont eu envie de s’impliquer dans ce qui aujourd’hui fait du bien à tous, voisins et promeneurs occasionnels. Oui, chers amis passants ou voisins, il en faut du temps pour collecter les milliers de bouts filtre de cigarette jetés par terre sans que l’inconséquent fumeur ne se souvienne que ces petits rouleaux sont inrecyclables dans le sol et qu’ils y laissent des centaines de particuliers toxiques ; il en faut de la patience pour effacer des tags de peinture acrylique que l’on ne peut enlever qu’à l’aide d’un produit toxique qui brûle les narines ; il en faut du cœur pour ramasser sans gerber les étrons canins que certains j’men-foutistes continuent à semer dans la Villa sans réaliser que leur clébard est nourri, lui aussi, de pseudo nourriture dite “pour chien” qui contient des tas de conservateurs toxiques qui, d’une part rendent malade l’animal et d’autre part pénètrent dans le sol où poussent arbres centenaires ou récemment replantés et des quantités de fleurs qui résistent. Ont-ils déjà oublié, ces indélicats, que sans végétation et sans arbres l’humain meurt ?
 
Plus de 15 jours que le climat – cet autre ennemi de  notre époque obsédée par le tout contrôle – nous gratifie d’un temps printanier d’une douceur précoce et enveloppante. Les fragrances florales sont ici et là au détour de la Villa et partout où les squares ont été fermés. Dans les espaces libérés de la toxicité humaine générée par la “modernitude” inconsciente, la vie se déploie, libre, en vrac, hirsute, les arbres se parent d’un premier feuillage vert tendre que le vent doux contorsionne sans hâte, dans le silence inédit de la capitale libérée agressions mortifères que notre société produit en temps “normal”. Nos yeux sont pleins de lumière solaire, l’on rêverait de se vautrer dans une chaise longue dans les parcs et les squares tant nous avons besoin de retrouver ce fameux temps “lent” qu’on a bien failli oublier dans l’agitation et la fureur des mégapoles poussées par une concurrence mondiale qui tue à peu près tout.
 
Oui, il fait bon vivre dans la Villa et nous savons que cela procède du partage tant réclamé par tous mais si rarement concrétisé…